On connaît le sort que le langage vulgaire, si prisé
de la valetaille médiatique et complaisamment répercuté par elle, a réservé au
surréalisme : il aurait été fondé par un pape, nommé André Breton et il
désignerait un gag littéraire et artistique puisant ses effets dans l’insolite
et les aberrations, incitant à la provocation gratuite et au geste absurde. Ces
sottises ont été si souvent rabâchées que les dénoncer toutes à chaque fois
qu’elles sont émises représenterait un véritable travail de Sisyphe ; ce
qui fait que, la plupart du temps elles ne suscitent plus chez nous qu’un
haussement d’épaules fatigué. Mais aujourd’hui le surréalisme risque de se voir
attribuer une acception nouvelle : celle de pure et simple escroquerie. Et
là, nous nous permettons de nous fâcher.
Depuis
quelques années, en effet, un certain Santiago Ribeiro, né à Coimbra en 1964,
expose son inoffensive barbouille un peu partout dans le monde. Comme ses
tableaux exhibent un vague univers fantastique, il a cru bon de se proclamer
peintre surréaliste. Démarche partagée du reste par un certain nombre d’autres
rapins qui n’ont toujours pas compris que, dans la mesure où le surréalisme
n’est pas une école artistique ni littéraire, mais une attitude de l’esprit, il
ne saurait y avoir de peinture surréaliste, et seulement un usage surréaliste
de la peinture. Mais passons. Ce qui est infiniment plus grave, c’est que le
sieur Ribeiro fait du surréalisme une marque de fabrique, labellisée sous
l’étiquette Surrealism now qui, de
juillet à décembre 2017, s’étalait, comble de l’ignominie, en bandeau
publicitaire sur les écrans géants de Times Square à New York. Car tel est bien
là l’inacceptable. Même Dali, dont les excentricités n’ont pas peu contribué à
l’assimilation vulgaire du surréalisme à la bizarrerie loufoque, mais qui ne
manquait pas de génie, n’était pas allé aussi loin dans le détournement du
sens. Son alter ego, Avida Dollars, au moins, travaillait pour lui seul et ne
prétendait pas organiser un mouvement planétaire entraînant plus d’une centaine
de participants. D’autant que le promoteur de ce mouvement renie explicitement
tous les fondements éthiques et critiques du surréalisme : il se réclame
ouvertement de la religion (« Mon art à moi baigne dans la vieille atmosphère
de la crucifixion »), il n’hésite pas à faire appel à des peintres d’église, à
des militaristes déclarés, et enfin il ne cache en rien qu’il agit en
opposition au fondateur même du mouvement dont il se réclame bruyamment (« Un
surréalisme basé sur les principes de Breton ne présente pour moi aucun intérêt
dans les circonstances actuelles »). Alors que c’est André Breton qui, avec le Manifeste de 1924 et les textes
automatiques comme Les Champs magnétiques
et Poisson soluble, a donné tout son
contenu au terme surréalisme, c’est faire preuve d’une singulière outrecuidance
que prétendre en redéfinir aujourd’hui d’une façon si grotesque et perfide les
fondements et les objectifs. Le prétendu Surrealism
now n’est ni surréaliste ni actuel, c’est une authentique escroquerie
intellectuelle comme il s’en est monté à toutes les époques.
Paris, le 25 janvier 2018
Pour
le Groupe surréaliste :
Élise
Aru, Michèle Bachelet, Anny Bonnin, Massimo Borghese, Claude-Lucien Cauët, Hervé Delabarre,
Alfredo Fernandes, Joël Gayraud, Guy Girard, Michael Löwy, Pierre-André
Sauvageot, Bertrand Schmitt, Sylvain Tanquerel, Virginia Tentindo, Michel
Zimbacca.